mercredi 14 février 2007

La magie

L'exercice philosophique semblait ne se résumer qu'à la dissertation et au commentaire de texte lors de mes premiers cours à l'université. Réalité de fait. Un exercice limité par un cadre précis semble en effet plus rapidement évaluable en matière de restitution d'un travail élaboré selon une méthode. Connaître la méthode se résume ainsi à savoir lire, rédiger dans un cadre selon un plan pré-établi (en l'occurrence : l'introduction, avec thèse et présentation du plan de l'étude qui suit, quelques parties, généralement une thèse et une antithèse puis une conclusion avec une timide ouverture vers un sujet-débat plus précis et si-possible pertinent.). Thèse, antithèse, synthèse. Et ceci malgré les efforts de mon professeur de Lettres, qui, durant mes années de collège, s'évertuait à nous répéter « thèse, antithèse, foutaise ! » car pour lui, comme il en est pour moi et comme il devrait en être pour nous tous, un plan visible, un travail d'analyse transparent de sa structure perd tout sens. Un travail synthétisé par toutes les règles de présentation d'un commentaire de texte ou d'une dissertation, telles que les mots de transition, les règles de Pascal, se réduit par lui-même à une ébauche impersonnelle, aussi poussée soit-elle, une œuvre inachevée dont toute la qualité ne peut se trouver que dans les efforts de style de son auteur.

Lorsque nous lisons un roman, une nouvelle ou un simple article de journal, l'histoire ou l'information semble nous parvenir instantanément, sans effort d'analyse du texte en détail de sa structure. Ce texte répond bien évidemment à des règles, certes plus flexibles quand à la liberté du poète, le registre de la chronique ou même l'enjeu visé par le texte. Car encore faut-il le rappeler, écrire c'est avant-tout être lu. Écrire, c'est pour être lu. Par respect pour le lecteur, l'écrivain, journaliste, poète, romancier, etc. se doit de faire disparaître son travail de l'œil du lecteur pour qu'il n'en ressente que ce que l'auteur désire lui faire ressentir, pour que le texte ne transpire que le sensible, le fond d'une pensée. Privé de sa magie, comme peut l'être le cinéma actuel, un texte perd sa portée. Seul en littérature la magie est encore possible et tous les cadres que nous lui imposons, via la machine qui sanctionne, note, corrige, publie, sélectionne et renvoie nous en grignote chaque fois un peu plus. Les films fantastiques de ma jeunesse m'ont fait rêver, les effets spéciaux imperceptibles permettaient un réel investissement et une implication sans égal dans ce qui paraissait être un morceau de ce monde infini et illimité dans le possible – ce que, plus tard, nous concevrons comme ce que les grecs de l'antiquité désignaient de monde des idées – et je ressentais cette responsabilité de l'émotion qui m'envahissait. Le rêve provoqué par ces films a peu à peu disparu du fait de l'engouement des spectateurs pour les coulisses de cette magie, ils ont voulu savoir où était caché le lapin avant de sortir du haut-de-forme. Ainsi nous avons découvert comment les personnages disparaissent de l'écran, comment ils pouvaient voler, comment ils mourraient (pour de faux) grâce aux retouches numériques, les fonds bleus et toutes autres techniques révélées au grand public. La magie est tombée. Cette magie est désormais réservée à la littérature, ne la brisons pas de règles et d'artefacts prévisibles et identifiables. Toi qui créé, fais moi rêver.